La phase de recette dans les projets informatiques BtB

Christelle FORT

20/05/2022

Par Christelle FORT - Avocat

La majorité des contrats de service IT conclus relève de la qualification du contrat de louage (Titre VIII du Code civil) et plus particulièrement du louage d’ouvrage (« contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles » - art 1710 du Code civil).

Rappelons, s’il est encore nécessaire, qu’un « contrat », c’est à la fois le document formalisé et signé entre les parties mais bien plus souvent et simplement l’accord de volonté entre les parties (la fameuse poignée de main qui constitue la grande majorité des contrats) puisque rien n’oblige à ce que la prestation de service soit formalisée et signée pour être valide et engager les parties. D’ailleurs, force est de constater que la plupart des prestations y compris IT est réalisée sans qu’un contrat (formalisé) soit signé par les parties. Si on ajoute à ce constat que cette absence de formalisation contractuelle s’accompagne généralement d’une absence ou insuffisance de formalisation des besoins (absence ou insuffisance qu’on peut également noter dans des dossiers où un contrat a bien été signé), le terreau de la discorde est répandu.

Pourquoi parler de discorde ? Si l’obligation principale du client dans ce type de contrat est de payer le prix convenu, ce dernier doit aussi en assurer la réception (ou recette dans les contrats informatiques). L’article 1792-6 du Code civil indique qu’il s’agit de « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage [le client] déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve ». Pour faire simple, c’est l’acte par lequel le client reconnait la conformité entre la prestation réalisée et sa commande.

Toujours selon le Code civil, la réception intervient à la demande de la partie la plus diligente et doit être prononcée à titre contradictoire soit à l’amiable soit judiciairement. Lorsqu’elle est prononcée, le prix est alors exigible, les risques et la garde sont immédiatement transférés au client qui ne peut plus exiger la couverture par le prestataire des vices apparents.

Généralement, à ce stade, on peut assister à deux comportements opposés de la part des clients : ceux qui se méfient, refusent de donner leur acceptation et ceux qui n’attendent pas que « la peinture soit sèche » et commencent à utiliser leur prestation. Du côté des prestataires, là encore, deux attitudes sont en général constatées : ceux qui exécutent et attendent que le client accepte et surtout paye la prestation réalisée et ceux, peut-être échaudés par des expériences malheureuses, qui font signer un document attestant de la réception dès l’accord de volonté.

Ce que l’on observe beaucoup plus rarement, ce sont deux parties qui se préoccupent dès le départ de cette acceptation et de ses modalités.
Pourtant si l’on analyse les différends qui opposent clients et prestataires comme les décisions de justice portant sur ce sujet (sachant qu’elles ne constituent que le sommet très émergé de l’iceberg car peu de litiges partent au contentieux), on s’aperçoit qu’ils naissent bien souvent lors de cette phase finale mais que les raisons en sont bien antérieures.

En effet, pourquoi un client refuse t’il d’accepter ce pourquoi il s’est tourné vers un prestataire : il serait faux de prétendre qu’il s’agit pour lui d’être de mauvaise foi et d’éviter de payer (certes il peut exister des clients malhonnêtes mais ce n’est qu’une très petite minorité) mais dans l’immense majorité des cas, ce qu’il a à recetter ne correspond pas à ce qu’il attendait. Est-ce à dire que tous les prestataires travaillent mal ou ne tiennent pas compte de ce qu’on leur demande, loin de là. L’écart vient trop souvent de l’incompréhension des parties sur ce qui est attendu, ce qui est promis et ce qui peut être réalisé.

La 1ère étape de la recette est donc simple à identifier même si elle est difficile à atteindre car il s’agit de s’entendre sur ce qui doit être réalisé : le besoin.

I) La charge de la définition du besoin

Comment peut-on juger de la conformité d’une prestation, quand on n’est pas en mesure de rapporter cette conformité à un référentiel objectif.

Quitte à enfoncer des portes ouvertes : la définition du besoin est fondamentale. Mais est-ce au seul client d’établir systématiquement un cahier des charges extrêmement précis et figé. Ce n’est pas ce qui semble ressortir de la jurisprudence récente en la matière.

Ainsi, même si certaines décisions posent qu’il appartient au client « de définir ses besoins et les objectifs à atteindre en précisant clairement la nature et l’importance des travaux qu’[il] souhaitait réaliser afin de permettre aux fournisseurs de déterminer ses besoins réels et de lui proposer les matériels, progiciels et logiciels adaptés à ceux-ci » ou plus récemment et de manière assez inédite s’agissant d’un projet réalisé en mode agile que « les obligations qui pèsent sur le fournisseur d’un système d’information, y compris un site web, dépendent des besoins et objectifs spécifiques du client, à condition qu’il les exprimes précisément ce qui n’est pas le cas en l’espèce » , la Cour de Cassation a également statué en imposant au prestataire d’analyser les besoins de son client qui n’avait pas établi de cahier des charges afin de lui proposer une solution adaptée. Plus récemment encore, il a été tranché que même, si le client a établi un cahier des charges mais qu’il s’avère que celui-ci est incomplet ou imprécis, le prestataire se doit d’approfondir, de questionner (voire de mettre en garde) son prospect au stade de la phase avant-vente afin que ce dernier puisse compléter ou prendre conscience du caractère irréaliste de ses demandes.

Le référentiel qu’est le besoin est donc bien le problème des parties et il leur appartient de le définir ensemble et dès l’origine de leur relation.

La 2ème étape de la recette consiste à définir comment il va être possible de rapprocher le résultat du référentiel.

II) Modalités d’acceptation

Comme il a été indiqué plus haut, la recette est une obligation du client mais la conséquence de son prononcé bénéficie au prestataire. Il est donc, une fois encore, nécessaire de coopérer au plus tôt pour en définir les modalités avant qu’un éventuel litige ne se fasse jour.

Si l’on s’en tient à l’article 1792-6 du Code civil, l’acceptation résulte d’une démarche pro-active : « Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit, à défaut, judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ». Il est donc loisible de penser qu’elle doit résulter d’un acte positif comme, par exemple, la signature d’un document concrétisant la volonté d’acceptation. Là encore, la jurisprudence est venue définir ce qui pouvait ou non être fait en la matière.

S’agissant de la signature de documents concrétisant l’acceptation, le contentieux, notamment dans le domaine de la location opérationnelle de biens IT (dont les sites internet), a permis de poser que la pratique consistant à faire signer au client un procès-verbal d’acceptation concomitamment à la signature du contrat (soit bien avant le démarrage et a fortiori la livraison de la prestation) ne pouvait pas prospérer . En revanche, la signature d’un procès-verbal par un client lorsqu’il a reçu livraison même partielle de sa prestation, l’engage et va lui fermer la porte à des réclamations ultérieures

Pour ce qui est de l’absence formelle d’acceptation, le contentieux en la matière dans le domaine de la construction a permis de dégager des principes jurisprudentiels de réception tacite à savoir la recherche de la volonté non équivoque du maître d’ouvrage d’accepter les travaux (ex : prise de possession de l’ouvrage et jouissance effective). Si, pour statuer en matière IT, les tribunaux se sont, à l’origine, fondés sur les principes dégagés en matière de contentieux de réception tacite d’ouvrage, par exemple en décidant que la réception tacite résultait de l’usage de la prestation commandée sans réserve, il semble qu’aujourd’hui, certains tribunaux s’en affranchissent en fondant leur jugement sur la simple constatation d’une absence de contestation de la part du client une fois la prestation mise à sa disposition par le prestataire .

Au regard de ce panorama jurisprudentiel rapide et succinct, la question à se poser, que l’on soit client ou prestataire, doit donc être de définir, le plus en amont possible, les conditions et les tests qui permettront objectivement de vérifier la conformité de la prestation au besoin et consécutivement le prononcé de son acceptation.