L'entreprise confrontée à l'audit de ses licences

Christelle FORT

Les éditeurs de logiciels maîtrisent parfaitement l’art de la rédaction contractuelle, et ce depuis des lustres. Leurs politiques commerciales respectives sont certes assez différentes mais le résultat est malheureusement souvent le même : l’entreprise, alléchée par des conditions apparaissant comme intéressantes lors de la souscription, oublie de se projeter dans l’avenir et la complexité de lecture des contrats de licence, souvent en cascade, nécessitant quelquefois de pouvoir lire (et comprendre des notions) en anglais décourage une analyse fine des obligations attachées à ces conditions.
Le donneur de leçon aura tôt fait de dire qu’il est indispensable de bien lire avant de signer, il n’empêche que la tâche consistant à analyser un contrat, même avec pour ligne de mire un avenir simplement prévisible, relève de la gageure, que l’on soit un spécialiste ou pas.
Néanmoins, il convient d’être conscient que le résultat d’un audit est souvent une source de coûts non anticipés et conséquents pour les licenciés, l’éditeur réclamant la mise à jour des licences et les maintenances voire l’indemnisation de son préjudice pour usage non autorisé.
La multiplication des audits déclenchés par les éditeurs soit à périodicité régulière, soit en fonction de l’incohérence du comportement d’achat d’un licencié, soit parce qu’un audit passé a déjà révélé des écarts … doit donc conduire à s’interroger sur ce qui peut être mis en place pour gérer ces audits.


Comment s’organiser avant l’audit :
Se dire que les éditeurs ne négocient pas leur contrat est faux. Certes, tout ne se négocie pas car les contrats sont souvent le miroir de contrats américains et il est difficile de faire comprendre à des Américains que certaines clauses ne sont pas applicables en France mais il est très souvent possible de négocier des points pratiques même chez les grands éditeurs.
A ce titre, il existe quelques aspects qu’il convient a minima de vérifier dans un contrat avant de le signer.
On peut citer par exemple les points suivants :

• Qui doit bénéficier des licences :

o est-ce uniquement la société signataire du contrat ou ses filiales actuelles et futures doivent-elles pouvoir en bénéficier. En effet, s’il n’est pas indiqué que les filiales sont contractuellement autorisées à utiliser, l’usage est aujourd’hui assimilé à une contrefaçon. Plus encore, que se passera t’il demain si le signataire est racheté, le contrat est-il transférable à l’acheteur (dans limite du nombre de licences souscrites) ;
o qui sont les utilisateurs autorisés à utiliser les licences : les employés, les prestataires, les consultants …
o …

• Quelles sont les conditions posées à l’octroi du tarif :

o Un nombre minimum d’utilisateurs
o Le fonctionnement du produit dans un certain contexte technique
o L’installation d’un outil de contrôle du respect des licences souscrites
o Des employés formés
o …

• Comment l’éditeur peut-il déclencher et mener un audit des licences

o Existe-t-il une clause d’audit au contrat
o Qui assure l’audit
o En quoi consistera t’il
o Fréquence et Durée de l’audit
o …

En effet, tout écart entre les conditions posées au contrat de licence et l’utilisation réelle par l’entreprise ouvre droit à indemnisation de l’éditeur pour non-respect des termes du contrat voire pour contrefaçon.
A noter qu’il est indispensable de conserver précieusement l’ensemble de la documentation contractuelle applicable à la commande passée : qu’on s’entende bien, la documentation contractuelle ne doit pas être simplement entendue comme la commande signée mais bien de l’ensemble des documents qui s’y appliquent dont notamment les Conditions Générales dans leur version au jour de la signature de la commande (les éditeurs inscrivent généralement dans leur documentation qu’il est conseillé de conserver une version de la documentation contractuelle en vigueur mais peu de clients prennent la peine de le faire, peu conscients des risques ainsi encourus).
Un suivi régulier et une documentation des logiciels utilisés dans l’entreprise, comme elle peut le faire pour ses autres actifs, sont un moyen de s’assurer que ce qui a été souscrit à un moment T est toujours conforme à un moment T1 au besoin (nombre de licences nécessaires, respect des métriques…), aux contraintes techniques de l’entreprise, aux contraintes organisationnelles (achat ou vente de filiales, fusion, scission…) … Cela permet également d’être en mesure de s’assurer plus rapidement de son bon droit en cas de déclenchement d’un audit par un éditeur sans avoir à partir dans des fouilles archéologiques qui ont généralement peu de chances d’aboutir. Ce suivi dépasse d’ailleurs le simple besoin de l’audit puisqu’il est nécessaire pour toutes les opérations de réorganisation du groupe auquel appartient le licencié.


Comment faire face à un audit :
Lorsque l’éditeur notifie sa volonté de déclencher un audit, le client doit demander à l’éditeur sur quel fondement est basé sa demande ainsi que le périmètre de l’audit. Avant de faire droit à sa demande, il importe de respecter la 1ère étape décrite ci-après.
Que l’on ait été ou pas en mesure de suivre les recommandations préalables à la réalisation de l’audit ci-dessus, le point de passage incontournable est de s’associer le support d’un spécialiste du droit. Qu’il soit interne ou externe, son expertise est indispensable pour bien comprendre par la suite les écarts entre ce que l’on croit et la réalité contractuelle. C’est également cet expert qui pourra relativiser les propos des équipes commerciales de l’éditeur, à l’origine de l’audit.
Il convient également de recueillir toute la documentation contractuelle (cf les remarques au § précédent sur le contenu de ladite documentation) qui sera analysée par l’expert juridique à la lumière du contenu de l’audit réalisé par l’éditeur, de l’état des lieux technique qui devra également être réalisé par les sachants du client (état des lieux de départ lors de la contractualisation et état des lieux à date avec analyse des écarts éventuels). Il va de soin que toute information relative à l’éditeur ayant déclenché l’audit est importante : clôture fiscale annuelle voire semestrielle et trimestrielle, fonction de l’interlocuteur désigné pour suivre cet audit, besoins éventuels du client à court ou moyen terme susceptibles de concerner l’éditeur …
Dans l’intervalle, il est fortement recommandé de limiter les échanges avec l’éditeur ou à tout le moins de ne jamais se départir de l’assistance de son expert juridique.
Une fois la situation et l’écart analysés, il importe de définir les personnes chargées de négocier avec l’éditeur car là encore, tout se négocie. Comme dans toute négociation il est fondamental de repérer les enjeux et d’anticiper les conséquences des décisions qui sont susceptibles d’être opposées tout en étant souple et ouvert si tout ne se déroule pas comme prévu.

Février 2023